Spectromètre de masse : inauguration d’un équipement de pointe unique au monde
Spectromètre de masse à transformée de Fourier équipé d’un aimant supraconducteur de 18 teslas (T), c’est le nom un peu complexe de l’équipement scientifique qui a été inauguré ce vendredi 31 janvier 2025 à l’université de Rouen Normandie. Cet équipement, qui a vocation à changer le monde de la chimie moléculaire, a été présenté à la presse et à de nombreux officiels, parmi lesquels le président de la Région Normandie Hervé Morin, le préfet de Normandie Jean-Benoît Albertini, le président-directeur général du CNRS Antoine Petit, ou encore la directrice recherche et développement de TotalEnergies Marie-Noëlle Semeria.
Cette inauguration est la concrétisation de nombreux mois de travail, de réunions, de construction, d’analyse afin que le FTITCR 18 T voie le jour au sein de l’institut CARMeN, toute nouvelle unité de recherche de l’université de Rouen Normandie. Mais c’est surtout le début de milliers d’heures de recherche, de découvertes et d’une certaine forme de révolution scientifique. Ce nouveau spectromètre de masse est unique au monde et c’est tout logiquement qu’il a eu le droit aux honneurs.
Près de 100 personnes ont pu découvrir ce tout nouveau spectromètre de masse et son décor au design original créé par l’artiste Simon Le Cieux. Mais avant de le voir de leurs propres yeux et de découvrir cette machine d’avenir pour de nombreux chercheurs, ils ont pris place dans l’amphithéâtre de l’IRCOF afin d’écouter les discours des représentants de l’URN, de la Région Normandie, de Bruker, de TotalEnergies et de la Préfecture de la région Normandie. « Nous avons la machine la plus puissante du monde. Nous sommes les premiers au monde avec un équipement permanent », a expliqué Antoine Petit, le président-directeur général du CNRS. « Ces machines nécessitent d’être installé à des endroits où il y a des compétences. Or, l’écosystème de l’URN et des universités normandes est parmi les meilleurs au monde dans le domaine de la chimie analytique. À Rouen, tous les ingrédients étaient réunis pour installer cet équipement : les équipes de chercheurs normands, le soutien de la Région Normandie et le lien très fort avec TotalEnergies. Nous avons besoin d’infrastructures de recherche de cette qualité car c’est un élément d’attractivité essentiel ».
À l’occasion de cette inauguration, Hervé Morin, le président de la Région Normandie, a conclu son discours avec des mots forts : « C’est parce qu’il y a des chercheurs, parce qu’il y a de la science, qu’au bout du compte l’humanité peut progresser. Et on finit souvent par l’oublier ».
Mais le FTICR 18 T, qu'est-ce exactement ?
Le spectromètre 18 T installé à l’université de Rouen Normandie sera à la chimie moléculaire ce que le télescope James Webb est à l’exploration spatiale. « Toutes les performances de l’appareil augmentent avec le champ magnétique : la résolution, la précision des mesures, la vitesse d’acquisition, etc. Ce qui était un défi jusqu’à présent, sur une machine 12 T, devient facile », explique Carlos Afonso, enseignant-chercheur à l’institut CARMeN.
Conçu par la société Bruker, cet appareil repousse les limites de l’analyse des mélanges chimiques les plus complexes. En effet, la spectrométrie de masse est une technique analytique utilisée pour mesurer la masse de molécules. Elle permet, par exemple, de détecter des polluants dans l’eau ou d’analyser des échantillons biologiques. Cette méthode est ainsi courante dans de nombreux domaines de recherche, dans l’industrie, et même au sein des hôpitaux.
Les méthodes conventionnelles se concentrent essentiellement sur des analyses ciblées, cherchant des molécules connues au sein de mélanges solides ou liquides complexes. « C’est une méthode extrêmement efficace, mais elle présente une limite : toute pollution inconnue passe inaperçue et n’est donc pas détectée », explique Carlos Afonso. Grâce à la résolution exceptionnelle du nouveau spectromètre, dont l’acquisition a été financée par le CNRS, TotalEnergies et la région Normandie, et l’installation et la logistique par l’université de Rouen Normandie, il devient possible de détecter toutes les molécules présentes dans un mélange, même en très faibles quantités. Tous ces composés sont ensuite identifiés à l’aide de logiciels automatisés qui leur attribuent leur formule chimique unique.
Ce projet ambitieux s’inscrit dans le cadre du laboratoire commun iC2MC[1] dédié à la caractérisation d’échantillons d’intérêt pour le secteur de l’énergie. Ce dernier réunit des experts de l’Institut CARMeN, de l’Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l’environnement et les matériaux (IPREM)[2], de TotalEnergies et du National High Magnetic Field Laboratory en Floride. Les potentialités de cet appareil vont insuffler une nouvelle dynamique à leurs recherches communes sur les biocarburants, les batteries et les panneaux solaires.
Cet instrument positionne plus largement l’Institut CARMeN et ses partenaires au premier rang de la recherche mondiale, tout en renforçant la capacité française à répondre à de grands défis sociétaux actuels. En ce sens, il est déjà mobilisé sur des problématiques environnementales telles que l’analyse des résidus des mégafeux et leur impact sur l’eau potable. Il jouera également un rôle clé dans l’identification des composés per- et polyfluoroalkylés (PFAS), des polluants très persistants dans l’environnement. « Seule une vingtaine de PFAS est actuellement réglementée et recherchée par des analyses ciblées. Or, nous savons qu’il en existe des milliers, qui, en se dégradant dans la nature, peuvent générer des millions de métabolites. Il y a un réel enjeu autour de leur caractérisation, tant pour l’environnement que pour la santé », précise Carlos Afonso.
Enfin, dans une démarche d’ouverture et de collaboration, le nouveau spectromètre rejoint le réseau national du CNRS Infranalytics qui offre à la communauté scientifique un accès privilégié à cet équipement d’exception.
[1] International Complex Matrices Molecular Characterization – installé au sein de la plateforme URN/INSA Rouen Normandie/CNRS – C2iOrga
[2] IPREM – CNRS/Université de Pau et des pays de l’Adour
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