Faire coexister le magnétisme et la ferroélectricité dans un conducteur, c’est possible !

Résultats scientifiques

Des chercheurs et chercheuses viennent de réussir à fabriquer une interface bidimensionnelle conductrice qui possède des propriétés ferroélectriques, ferromagnétiques et conductrices, une triple coïncidence normalement impossible à réaliser, mais rendue possible ici par une structure en couches habilement choisie.

Les multiferroïques sont une famille de matériaux au sein desquels coexistent deux propriétés qui ne vont généralement pas ensemble : le magnétisme et la ferroélectricité. Le magnétisme est bien connu : il apparaît naturellement dans certains matériaux (comme le fer) qui possèdent une aimantation rémanente, c’est-à-dire persistant même en l’absence de champ magnétique. La direction de l’aimantation rémanente peut être renversée par application d’un champ magnétique opposé, offrant ainsi un effet mémoire intéressant pour les applications. La ferroélectricité est un phénomène plus rare, et peut être vue comme un analogue électrique du magnétisme : un composé ferroélectrique possède des dipôles électriques (deux charges exactement opposées, séparées par une distance extrêmement petite, inférieure à la taille d’un atome) qui sont l’analogue électrique d’aimants microscopiques : une fois alignés par un champ électrique, leur effet (un « champ dipolaire ») devient non seulement macroscopique, comme l’aimantation pour les aimants, mais également rémanent et peut être modifié par application d’un champ électrique.

En principe, la ferroélectricité – et donc le caractère multiferroïque – ne se trouve que dans les isolants, car des charges libres dans un matériau vont avoir tendance à se déplacer et annuler tous les effets collectifs liés aux dipôles électriques microscopiques. Une équipe de l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales (UMPhy, CNRS / Thales), en collaboration avec le Laboratoire de cristallographie et sciences des matériaux ( CRISMAT, CNRS / ENSICAEN / Université de Caen Normandie), le CNR-SPIN et l’Université Federico II de Naples et l’Institut Paul Scherrer en Suisse, a pourtant récemment élaboré un nouveau type de matériau à fois ferroélectrique et magnétique tout en étant un excellent conducteur électrique.

Ce nouveau matériau est un type de « gaz » bidimensionnel d'électrons – un conducteur métallique épais de seulement quelques plans atomiques – se formant à l’interface entre deux composés de la famille des oxydes à structure pérovskite. Les résultats de cette étude montrent pour la première fois que les phénomènes de ferroélectricité, de magnétisme et de conductivité se retrouvent dans le même système. De plus, ces trois propriétés sont couplées. Ainsi, l’application d’un champ électrique pour renverser la polarisation ferroélectrique modifie de façon rémanente la résistance électrique du gaz d’électrons. De même, ses propriétés de transport électronique sont modulées par ses propriétés magnétiques, le tout étant contrôlé par la direction de la polarisation ferroélectrique.

La physique de ces systèmes multiferroïques conducteurs est ainsi très riche et reste encore largement à explorer. La coexistence de ces propriétés et la possibilité de les contrôler facilement avec une tension électrique ouvre certainement la voie vers de nouveaux dispositifs pour le stockage d’information et le calcul à faible consommation d’énergie. Cette étude est publiée dans Nature Physics.

Vue schématique en coupe d’un échantillon abritant un gaz d’électrons multiferroïque.
Figure : Vue schématique en coupe d’un échantillon abritant un gaz d’électrons multiferroïque. Il s’agit d’une multicouches d’oxydes à structure pérovskite ABO3. La couche supérieure (en bleu) est constituée de LaAlO3, la couche intermédiaire (en orange) de EuTiO3 et la couche inférieure de Ca-SrTiO3. Les flèches horizontales représentent le moment magnétique porté par les atomes. Le gaz d’électrons s’étend dans les 2-3 premières couches du Ca-SrTiO3.  Le Ca-SrTiO3 est ferroélectrique : les atomes y sont décentrés ce qui génèrent un dipôle électrique. L’amplitude et direction des dipôles (différents entre les parties gauche et droite de la figure) influencent la taille des moments magnétiques, correspondant à un couplage magnétoélectrique dans le gaz d’électrons (représentés par un halo bleu). © Unité Mixte de Physique CNRS/Thales

 

 

Références

Coexistence and coupling of ferroelectricity and magnetism in an oxide two-dimensional electron gas. J. Bréhin et al, Nature Physics, paru le 09 mars 2023
DOI :
10.1038/s41567-023-01983-y
Archive ouverte arXiv

Contact

Manuel Bibes
Directeur de recherche au CNRS, Unité mixte de physique CNRS/Thales
Communication INP